
Michel Van Aerde
Paul a été entendu
Chapitre 5
Il n’est pas question de bâtir une théologie sur quelques versets, pas même sur un chapitre. Nous devons nous garder de monter en épingle quelques mots. Mais nous pouvons réfléchir aux conséquences lointaines des appels de l’Apôtre et nous demander, au vu de l’actualité, s’il n’a pas été entendu à l’excès.
Durant ce temps de confinement, certains auront vu sur Netflix « Unorthodox », une histoire vraie. Esty, jeune hassidique newyorkaise de 19 ans, fuit son mariage et sa communauté ultra-orthodoxe, pour se réinventer à Berlin en vue d’une formation musicale et d’une insertion sociale moderne.
Cette lente et douloureuse métamorphose donne tout son relief aux propos de Paul mais celui-ci n’est-il pas dépassé par la réalité ? La circoncision ne fait plus problème depuis longtemps, la confession non plus, le mariage de moins en moins, le baptême des enfants est reporté à leur maturité. En ces temps de confinement l’eucharistie n’est pas possible. Les prêtres partagent la condition commune. Ils souffrent sans recevoir le sacrement des malades. Ils meurent sans le viatique. Ils se passent d’enterrement religieux. A Saint-Pierre de Rome, la liturgie adopte un minimalisme tel que Luther, Calvin ou Zwingli protesteraient. Il ne reste plus rien, si ce n’est la foi. La foi nue, sans religion.
Le pape François souhaitait « une Eglise en sortie ». Nous y sommes. Elle est universelle, catholique. Et si les signes sont invisibles, l’Esprit n’en souffle pas moins. C’est le cas pour toutes les institutions. Les universités sont à distance, les consultations médicales aussi. L’approvisionnement se fait par livraison ou par « drive » (car on mange encore, comme on prie encore). Le paiement est « sans contact ». Il n’y a plus « d’espèces sonnantes et trébuchantes », plus même de « monnaie fiduciaire » donc. Tout est encore plus affaire de confiance. Le chiffre des morts ne cesse d’augmenter mais la bourse remonte déjà car on entrevoit la fin du confinement. L’espérance renaît, du moins l’espoir des financiers, car l’espérance est une vertu théologale. Et puisque l’espoir renaît, l’argent revient, même s’il a été déjà distribué par milliers de milliards, virtuellement.
L’Eglise est devenue universelle, sans plus aucune frontière, tout comme la solution à notre crise sanitaire. Car on le voit bien. Même si les gouvernements en appellent à la guerre, c’est à l’humanité entière de se mobiliser, de s’organiser pour lutter. La solution réelle est au niveau international. L’humanité ne s’est jamais sentie aussi interdépendante, unie pour le meilleur et pour le pire. Elle apprend, tant bien que mal, dans un esprit commun que l’on identifiera ou non, à s’organiser. Il faut produire des masques, des respirateurs, des médicaments et surtout le fameux vaccin qui seul apportera le salut. Ce « salut » sera pour tous ou il ne sera pour personne. Et ce geste occasionnel, auquel peu de théologiens nieront une valeur spirituelle, sans qu’aucune espèce de foi ne soit nécessaire, ex opere operato, comme on disait jadis, produira l’effet attendu.
Je propose cette analogie que Paul n’aurait peut-être pas rejetée : il y a un moment où les « gestes barrières », où l’isolement dans son identité nationale, familiale, ne suffit plus. Il faut affronter le mal lui-même, c’est à dire la mort. Et, comme dans un vaccin, on se laisse inoculer le virus (atténué) : il faut « y passer », « passer par cette mort à soi-même » (que signifie le baptême), pour vivre vraiment déconfiné, ressuscité.
Le vaccin : une sorte de baptême ? Le baptême : une sorte de vaccin, contre la pire des morts, la mort spirituelle ? Et, si l’on va plus loin, l’Esprit : un anti-corps, un anti-inflammatoire régulateur ?
Michel Van Aerde
Bruxelles
